Mes textes

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J'aime beaucoup écrire; ici, je mettrais les récits que j'ai écrit et que j'aime. La plupart ont été écrits dans le cadre de l'atelier d'écriture à la fac.

15/04/25 - Les fraises de Vérité

        Depuis la tombée de la nuit, l’agitation dans la clairière n’avait pas cessé. Les pixies de la division des denrées enchantées s’affairaient autour du grand camion aux roues de mousse, bâti pour transporter des aliments à taille humaine. Leur quotidien consistait à livrer des pommes géantes, des baguettes de pain longues comme des barques ou encore des melons aussi grands que leurs maisons. Ce matin, la cargaison nécessitait une attention toute particulière.
        Douze fraises énormes, chacune aussi grosse qu'une table de pique-nique de pixie, trônaient dans la remorque rouge. Elles dégageaient une légère buée sucrée, et leurs grains brillaient comme des paillettes sous la lumière des lucioles. Ce n’étaient pas des fruits ordinaires : c'étaient des fraises de Vérité.
        « Faites attention à ne pas les abîmer. Même une griffure peut libérer des particules de Vérité. » marmonna la superviseure en battant des ailes.
        Les fraises de vérité étaient utilisées avec la plus grande précaution dans le monde des humains. Une seule bouchée suffisait à dissiper les faux-semblants. En quelques secondes, celui qui en consommait se retrouvait incapable de mentir, même à lui-même. C’était un fruit qu’on n’offrait ni par caprice ni par gourmandise. On en faisait des confitures administrées dans des contextes stricts : réconciliations familiales, révélations judiciaires, ou parfois même des demandes en mariage désespérées où chacun voulait s’assurer que les sentiments prononcés n’étaient pas seulement des mots.
        Le camion démarra lentement, encadré par deux éclaireuses montées sur des libellules. On entendait encore le chuchotement de la superviseure : « Pas un mot de travers, pas une fissure : si l’une de ces fraises se fend pendant le trajet, toute la vérité qu’elles contiennent risque de s’échapper… et d’éclabousser n’importe qui! » Un silence respectueux s’installa dans le convoi. Chacune se souvenait de cette vieille légende d’un pixie tombé accidentellement dans un pot de confiture de vérité : à son retour, elle avait récité toutes ses pensées pendant trois jours sans s’arrêter, y compris celles qu’il valait mieux taire pour le bien de toutes.
        Au loin, les lampadaires humains scintillaient. La livraison allait bientôt commencer.

08/04/25 - Fugue ou disparition?

- Depuis combien de temps avez-vous constaté les disparitions ?
- Je dirais… depuis toujours.
- Pouvez-vous me décrire précisément la scène du crime ?
- La machine était fermée. Le tambour semblait… paisible. Rien d’anormal. Et pourtant, à l’ouverture… il manquait une chaussette. Comme d’habitude.
- Une méthode bien classique : isoler la victime, l’aspirer dans un vortex parallèle, ne jamais la restituer.
- Exactement.
- Avez-vous envisagé une fugue volontaire de la chaussette ?
- Impossible, elles étaient inséparables. Un duo parfait. Rayures identiques, taille 39. Ça n’a aucun sens.
- Nous avons interrogé plusieurs machines à laver, mais elles nient tout en bloc. Modèle Whirlpool, Samsung, LG… c'est le silence total.
- Typique.
- Nous pensons à un réseau organisé. Une mafia de chaussettes disparues. Peut-être même un trafic.
- Mon Dieu… vous croyez qu’elles sont revendues ?
- Au marché noir. Probablement en paire avec des inconnues. L’enfer des chaussettes.
- J’espère qu’elles sont quelque part… heureuses.
- Nous ne perdons pas espoir. Nous avons ouvert une cellule de soutien psychologique pour les pieds abandonnés.

25/03/25 - Critique de Tu me manques.

        Avec Tu me manques., un court-métrage en lice au Festival Nikon, on plonge dans l’intimité d’un adolescent en proie à un profond mal-être. Sa chambre en désordre témoigne du chaos intérieur qui l’habite, tandis que les appels insistants de sa mère résonnent comme un rappel brutal de la réalité. Il s’est déjà essayé à différentes formes d'art telles que la musique ou la peinture pour exprimer son malaise, mais c’est dans l’écriture qu’il trouve enfin un véritable exutoire.
        Le court-métrage joue habilement sur le contraste entre un quotidien oppressant et des échappées oniriques offertes par les mots. En écrivant, le jeune homme ne se contente pas d’exprimer sa douleur : il voyage, s’évade vers des paysages apaisants, comme s’il pouvait modeler son propre monde. Mais derrière cette liberté apparente, un vide persiste. Chaque phrase écrite le rapproche d’une vérité qu’il n’osait pas affronter : l’absence d’une mère, un manque irréparable.
        En 2 minutes 20, le film parvient à capturer une émotion pure et sincère. Le poème récité donne toute sa force au récit, révélant progressivement la nature du vide qui habite le protagoniste. Tu me manques. n’est pas seulement une histoire de douleur : c’est une déclaration d’amour posthume, une preuve que l’écriture peut réparer, à défaut de faire revenir ceux qui sont partis.

11/03/25 - Ce qui m'appartenait (suite)

        Je l’ai vu entrer, encore une fois, avec son air faussement modeste, ses yeux baissés comme s’il était gêné par l’attention qu’on lui portait. Mais il savait très bien ce qu’il faisait, il maîtrisait parfaitement ce jeu. À peine avait-il franchi la porte que tous les regards s’étaient déjà tournés vers lui, admiratifs et curieux. Et moi, comme d’habitude, j’étais invisible dans un coin, à observer cette mascarade.
        Il a avancé tranquillement, un sourire léger aux lèvres. On l’a félicité, on l’a applaudi, on a ri à ses blagues, même si elles n’avaient rien de drôle. Et moi ? Rien. Pas un regard, pas une question. Pourtant, j’avais travaillé autant que lui, sinon plus. Mais il avait cette chose que je n’aurai jamais : la facilité d’exister aux yeux des autres.
        Alors, je me suis tu. J’ai souri vaguement, j’ai hoché la tête, j’ai fait semblant de ne rien voir. Mais à l’intérieur de moi, une seule pensée tournait en boucle : il a pris ce qui aurait dû être à moi. Parce que moi aussi, j’étais là cette nuit-là. Moi aussi, j’ai couru à travers les flammes, moi aussi, j’ai porté des vies sur mon dos. J’ai senti cette fille s’accrocher à moi, ses bras tremblants autour de mon cou, sa respiration haletante contre mon épaule. J’ai traversé l’enfer avec elle, j’ai tenu bon alors que la chaleur me brûlait la peau. Mais au moment où j’ai enfin atteint l’extérieur, épuisé, suffocant, il a tendu les bras et l’a prise, sous les regards émerveillés de la foule.
        Quand je me suis effondré, vidé de toute force, ce n’était pas moi qu’on a vu. C’était lui, dressé fièrement au milieu des caméras, la jeune fille dans ses bras, auréolé de cette lumière héroïque qui semblait le suivre partout.
        J’aurais pu crier que c’était moi, que c’était mon souffle qu’elle avait entendu dans les flammes, que c’était mon dos qui avait supporté son poids.
        Mais à quoi bon ? Personne ne voulait entendre cette version de l’histoire.

04/03/25 - Dans les flammes de la nuit

        Le silence de la nuit fut brisé par une odeur âcre de fumée. Clara ouvrit les yeux, d’abord désorientée. Une lumière vacillante dansait sous la porte de sa chambre. Son cœur accéléra.
        Elle se redressa brusquement et tendit l’oreille. De l’autre côté du mur, le crépitement du feu s’intensifiait, un bruit sec et inquiétant. Elle posa les pieds au sol, courut vers la poignée, la toucha du bout des doigts. Une brûlure lui fit retirer sa main d’un geste brusque. Elle recula d’un bond. L’alarme incendie se déclencha brusquement, un hurlement strident qui fit vibrer les murs. Clara se couvrit les oreilles. Dans le couloir, des voix affolées appelaient à l’aide tandis que des portes claquaient dans la panique.
        Elle courut vers la fenêtre et tira sur la poignée. Une épaisse fumée noire commençait à s’insinuer sous la porte. Elle recula, cherchant une solution, sa respiration déjà entravée.
        Les sirènes résonnèrent au loin. À l’extérieur, des ombres se pressaient sous l’immeuble. Une femme criait, un pompier hurlait des instructions. Clara agrippa un drap qu'elle roula autour de son visage. Ses mains tremblaient. Elle se tourna vers la porte, puis hésita une seconde. Enfin, elle prit son élan et donna un grand coup de pied. Le bois céda. Une vague de chaleur l’assaillit immédiatement. Le couloir était un tunnel de flammes.
        Elle inspira profondément et s’élança.

17/02/25 - Cher frère...

Cher Leian,
        Comment vas-tu ?
        Je t'écris cette lettre comme je le faisais avant, quand l'un de nous deux était en voyage scolaire et qu'on s'envoyait des cartes postales, ou quand on se lançait des avions en papier à travers la chambre, pour continuer nos conversations en secret après que l’heure du coucher était passée et que les lumières étaient éteintes.
        Tu sais, je passe mes journées à t’observer. Je n’ai rien à faire d’autre de toute façon. Je t’ai vu chercher quelque chose sur ton bureau ce matin, retourner tous tes papiers, soupirer d’agacement. J’aurais voulu te dire que ton journal était sous ton oreiller, comme avant, quand tu oubliais tout et que j’étais là pour te le rappeler. J’ai aussi vu que tu avais laissé ta tasse de café sur la table du salon, à moitié vide (ou à moitié pleine), comme d’habitude.
        Quand tu te regardes dans le miroir, j’ai l’impression de me voir moi, si j’avais eu la chance de grandir encore. Parfois, j’essaie de t’appeler. Je murmure ton prénom, en espérant que tu ressentes ma présence, mais tu ne te retournes jamais.
        Depuis notre accident de voiture cette nuit-là, tu continues d’avancer, et moi je reste ici. Coincé quelque part entre ce qui était et ce qui n’est plus. Je ne peux plus ouvrir les portes, je ne peux plus toucher les choses. Je ne peux que veiller sur toi, te suivre à travers les ombres, espérant que parfois tu me devines.
        Je sais que tu ne recevras jamais cette lettre, mais j’aurais voulu te dire que je suis toujours là, et que là où je suis, maman et papa sourient encore en pensant à toi.
        Ton frère qui t'aime, Naiel.

06/02/25 - Là où l'on saura m'aimer

        Je suis née cette nuit, dans une averse qui a balayé les rues de Londres, déposant mon corps scintillant dans un creux le long du trottoir d'Oxford Street. Dès les premiers rayons du soleil, les enfants ont sauté sur mon dos, éclaboussant leur joie autour d’eux. D’autres, plus calmes, se sont arrêtés pour observer leur reflet dans mon eau claire, immortalisant mon éclat d’un simple cliché.
        J’ai vu des gens pressés marcher d’un pas rapide, comme si chaque seconde comptait dans cette ville sans arrêt: un homme en manteau noir, serrant son sac si fort qu'on aurait dit qu'il gardait un secret qu'il ne voulait pas partager. D'autres, à l'air fatigué, adossés aux façades de briques, tenaient entre leurs mains un café fumant, semblant chercher un instant de réconfort dans cette pluie battante. Plus loin, sous un abribus, des silhouettes attendaient le bus protégées des dernières gouttes de pluie.
        Mais Londres ne s’attarde pas. Le temps passe, et moi, je change. Peu à peu, le ciel s’assombrit, et mon éclat s'efface. Les taxis noirs et le bus m’écrasent sous leurs roues, les passants me piétinent, et la poussière de la ville et moi ne faisons plus qu'un. J’entends les klaxons, les éclats de voix, le bruit sourd des semelles sur le pavé mouillé. Pourtant, dans cette foule qui m’entoure, personne ne me regarde. On m’évite d’un pas distrait, comme si je n’existais pas.
        Je vois un enfant s’approcher, ses yeux pétillants de curiosité. Il s’arrête, puis tend lentement la main vers moi. Mais sa mère, d’un coup sec, l’attrape par le bras et lui dit qu'elle ne veut pas qu'il se salisse. L’enfant baisse la tête, une larme glisse sur sa joue, et dans un murmure, il me dit : “Je reviendrai, un jour.” Il me regarde une dernière fois, puis suit sa mère, mais il me semble qu'il voulait vraiment croire qu’il tiendrait sa promesse.
        Je repense alors à ma vie d’avant, quand j’étais encore dans un nuage. Là-bas, j’étais entourée de ma famille, portée par le vent, bercée par l’insouciance. Nous riions ensemble en roulant dans le ciel, impatients de tomber sur le monde, d’être utiles, d’être aimés. Et maintenant, je suis seule, sans savoir si je les reverrais un jour ou non.
        Le soleil perce enfin à travers les nuages lourds, et une chaleur douce m'enveloppe. Mon corps s'efface peu à peu, et se dissout dans l'air. Que vais-je devenir? Serai-je condamnée à errer dans les airs? Deviendrai-je un nuage pâle et imposant suspendu au-dessus de l’océan? Vais-je renaître en une autre flaque dans une ville lointaine?
        Peut-être renaîtrai-je dans une forêt silencieuse, où les insectes viendront boire et où les feuilles tomberont sur moi. Peut-être tomberai-je dans un village où la pluie est une bénédiction, et où les gens m'aimeront. Peut-être glisserai-je sur une feuille de lotus, bercée par le vent d’un lac paisible. Peut-être reverrai-je un jour l'enfant qui m'avait promis de revenir.
        Londres s’éloigne sous moi. Je lui dis adieu, sans savoir si un jour, je reviendrai. Cette fois, j’espère renaître là où l’on saura m’aimer.


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